Le 26 janvier 1944

German 75 mm anti-tank gun knocked out, Cassino – D’Arcy Whiting- 1944 – Archives New Zealand/Te Rua Mahara o te Käwanatanga – Wellington Office – AAAC 898 NCWA W598

German 75 mm anti-tank gun knocked out, Cassino – D’Arcy Whiting- 1944 – Archives New Zealand/Te Rua Mahara o te Käwanatanga – Wellington Office – AAAC 898 NCWA W598

La côte 862 constitue la « clef de voute du Belvédère »
(général Chambe – Le Bataillon du Belvédère).

Il fait froid, brumeux et un crachin glacé tombe sur les hommes à l’aube de ce 26 janvier.

Le sous-lieutenant Bouakkaz indique au lieutenant Jordy « j’arriverai le premier là-haut » et vise la cote 862. Bouakkaz et Jordy identifient la cote 862 et sa seconde bosse un peu plus bas à droite qu’ils baptisent pour les besoins du repérage le « Piton sans Nom ». Les hommes de Jordy sont fatigués et n’ont déjà plus d’eau avec eux. Ils n’ont pas mangé depuis trente heures.

Le lieutenant Jordy est conscient que les Allemands vont s’organiser en vue d’une contre-attaque, qu’il est menacé d’isolement et surtout qu’il n’aura bientôt plus de munitions. Sa compagnie est en outre la plus exposée au Cifalco. Gandoet informe Jordy à l’aube qu’il se mettra en route lui-même pour la cote 681 avec la 10e compagnie (Louisot), la compagnie d’accompagnement (Jean) et deux compagnies empruntées au premier bataillon en renfort de la 11e compagnie (dont la 2e compagnie (Billard)).

Au même moment, des chars français et américains patrouillent pour conserver le contrôle de la vallée.

Le 3e R.T.A., arrivé de nuit, a peu à peu remplacé le 4e R.T.T. dans la vallée.

A 14 heures, les hommes commandés par Gandoet contactent les guetteurs de la 11e compagnie. Ils pourront partiellement ravitailler la 11e en munitions mais pas en vivres. La 2e compagnie d’accompagnement (Aygadoux) parvient quant à elle sur la cote 681 à 15 heures.

Le colonel Roux ordonne d’attaquer la cote 862 pour 16 heures 30.

Jordy reçoit le message à 16 heures 35 et il lance ses hommes immédiatement. Le sous-lieutenant Bouakkaz marche en tête comme il l’a demandé. Il tente un large débordement par la droite. La compagnie d’accompagnement du capitaine Jean couvre Bouakkaz avec des tirs de mortiers et de mitrailleuses lourdes.

Malheureusement pour les Français, les Allemands embusqués avaient anticipé l’attaque française et une pluie incessante de rafales de balles, de minen et d’obus va s’abattre sur la 11e compagnie. Le Piton sans Nom se métamorphose en un gigantesque feu d’artifice meurtrier. Les Allemands tirent du Cifalco et de la cote 470 (qui a été reprise aux Français). Les pertes de la 11e sont importantes, mais l’artillerie française couvre les hommes de Jordy avec efficacité. Le pilonnage de l’artillerie va durer plus de deux heures.

La section Huguenin de la compagnie d’accompagnement suit la 11e compagnie, ainsi que la 10e compagnie (Louisot) et la 2e compagnie (Billard).

Les sections Bouakkaz et Nicolas progressent sous le feu allemand et parviennent à prendre d’abord le Piton sans Nom.

Dessin de Paul Devautour

Dessin de Paul Devautour

Bouakkaz est tué d’une balle dans la tempe sur le Piton sans Nom. Le sergent Mohammed ben Abdelkader relève alors le corps de l’officier et, aidé de deux autres tirailleurs, vont le placer assis sur un fusil qu’ils vont porter l’un par la crosse, l’autre par le canon jusqu’au sommet de la cote 862. Bouakkaz avait fait le serment de parvenir au sommet de 862. Mort, ses hommes vont porter son corps sous le feu des balles allemandes.

Extrait du « Bataillon du Belvédère » :

A 18 heures, le sergent Mohammed ben Abdelkader et ses deux camarades — tous trois miraculeusement indemnes — surgissent à la tête des survivants de la section (à peine quelques uns), au sommet du Piton Sans Nom, portant toujours leur précieux fardeau. Ils sont exténués. Ils sont montés en courant et en chantant jusqu’au bout. Leurs yeux brillent de joie et de fierté. Le serment de la section a été tenu. Elle est arrivée la première ! Le sous-lieutenant Bouakkaz est avec eux.

Alors, avant de le coucher sur cette terre qu’il a conquise, ils mettent debout le cadavre de leur officier et le maintienne ainsi un instant, face à l’ennemi, puis ils l’étendent doucement parmi les rochers, le visage tourné vers la ligne allemande.

A 19 heures, la cote 862 est prise à son tour par la compagnie Jordy. Ceci consacre l’enfoncement de la ligne Gustav par l’armée alliée, en l’occurence l’armée française.

Combats du 2e bataillon

Le 2e bataillon (Berne) traverse le Rio Secco. Les hommes ont de l’eau jusqu’à la ceinture et empruntent les pentes sud du Belvédère à gauche. Le 2e bataillon a pour objectif de prendre la cote 382, puis les cotes 700 et 771 et le Casale Abate (cotes 915 et 875).

Le village de Cairo sera pris par la 34e division d’infanterie américaine appuyée par des Sherman et l’artillerie du groupement Bonjour. La 7e compagnie (Tixier) progresse rapidement pour atteindre son objectif intermédiaire : la cote 382. Cette dernière est proche de la route sinueuse reliant le village de Cairo (90) à celui de Terelle (902).

La 7e compagnie (Tixier), la 6e compagnie (Thouvenin) et la 5e compagnie (Chatillon) vont s’élancer, suivies de la compagnie d’accompagnement (Isaac). La 7e compagnie prend tout d’abord la cote 382.

Le 2e bataillon ne disposera pas d’un Ravin Gandoet pour le protéger. Le 2e bataillon doit progresser à découvert de l’artillerie allemande dès la cote 302. La 7e compagnie va s’engager vers la cote 700. Les canons de 155 du commandant Mengus couvrent la progression du capitaine Tixier.

La compagnie Tixier prend la cote 700 à la tombée de la nuit, puis, sera contre-attaquée par les Allemands, Tixier la reprend 20 minutes après à la baïonnette. Tixier en grand officier mène les combats à la tête de ses hommes. Contre-attaquée une seconde fois, la cote 700 est évacuée par les Français mais ne sera toutefois pas reprise par les Allemands. Tixier fait plusieurs prisonniers qui appartiennent au 131e régiment d’infanterie de Poméranie, comme ceux capturés par la 11e compagnie.

La 6e compagnie (Thouvenin) progresse quant à elle sur la pente sud de la cote 721. Comme Tixier, Thouvenin s’expose volontairement aux combats à la tête de ses hommes pour les rassurer et les encourager.

Extrait du « Bataillon du Belvédère » :

Tixier marche sur 700, Thouvenin sur 721. Il faut la force d’âme, la folle bravoure de ces officiers pour entraîner leurs hommes. A l’effort physique nécessaire pour s’élever sur ces pentes qui déjà rebuteraient un grimpeur éprouvé, bien équipé pour la montagne, doit s’ajouter l’effort moral pour dominer la peur, s’obliger à se lever sous les balles, sous les mines, à mépriser à chaque instant la mort. Un seul levier pour décider les hommes à sortir de leurs trous de pauvres bêtes traquées, pour les encourager à se mettre debout, à avancer : l’exemple. […]

Le commandant Berne écrira plus tard, parlant de ses officiers et de ses hommes:

La plus grande satisfaction de ma carrière est de pouvoir me dire que je sais ce que sont, sous le feu, des commandants de compagnie et des cadres français et tunisiens d’élite, ce qu’est une troupe qui veut vaincre. Et ma grande fierté c’est d’avoir eu l’honneur de commander de tels hommes.

Thouvenin prend avec succès la base de la cote 721 et a réussi à amorcer un débordement sur la gauche. La nuit l’obligera toutefois à suspendre sa progression.

Monsabert envoie en renfort un bataillon du 7e R.T.A. sur la cote 700 et un bataillon du 3e R.T.A. en amont de l’Olivella face à Belmonte.

Le commandant Berne est blessé par un éclat d’obus tombé sur son observatoire. Son aspirant d’artillerie Garner a le corps coupé en deux. Berne perdra connaissance mais il a le temps de désigner le capitaine Leoni pour commander le second bataillon. Leoni rentre en contact avec Jordy et Thouvenin. Les hommes n’ont toujours rien à manger ni à boire. Il est 22 heures.

Les tirs d’artillerie reprendront dans la nuit. Les tirailleurs ne sont pas en mesure de porter secours aux blessés car cette fois l’artillerie allemande ne cessera pas ses tirs.

Extrait du « Bataillon du Belvédère » :

Mais à l’inverse de ce qui se passe devant la compagnie Jordy, il ne peut être question d’aller à la recherche des blessés. Les équipes de brancardiers qui l’ont tenté ont été aussitôt prises sous des rafales de mitrailleuses. Elles ont eu des morts. De plus, l’artillerie allemande (dont on s’était plu à décrire l’indigence en munitions) ne cesse de faire preuve d’une véritable prodigalité en obus et en mines. Les glacis du Belvédère deviennent intenables. Une sorte de délire semble s’être emparé de l’ennemi. Sans doute, avait-il estimé imprenable la rive droite du Rio Secco, avec ses escarpements formidables, puissamment fortifiés, et voilà cependant que les français venaient d’y mordre profondément. Où s’arrêterait cette grave menace ? N’allaient-ils pas profiter des ténèbres pour franchir en force la vallée et essayer d’emporter par un assaut de nuit général ?

Aussi, ne s’agit-il plus de simples tirs de harcèlements mais de véritables tirs d’interdiction massifs et ininterrompus. Pas un are de terrain n’échappe au soc des gros obus. Au jour, les pentes auront pris un aspect lunaire. Les tirailleurs ne peuvent échapper à la destruction qu’en s’incorporant aux rochers, dans les moindres dépressions. Au petit bonheur la chance !

Les blessés qui l’ont pu se sont traînés le mieux possible à l’abri, les autres gisent à l’endroit où ils sont tombés. Toute la nuit, dans les rares intervalles de silence, on entendra monter leurs plaintes, leurs supplications. Alors, des tirailleurs ne pouvant supporter plus longtemps de laisser à l’abandon un camarade cher dont ils auront reconnu la voix, se jetteront à bout de nerfs dans l’ombre, comme des fous, au secours des malheureux. Beaucoup ne reviendront pas de leur tentative héroïque.

Le capitaine Léoni (qui a remplacé le commandant Berne) a reçu l’ordre du colonel Roux d’attaquer le sommet du Casale Abate (la cote 915) à 16 heures 30 dans l’après midi du 26.

Léoni mobilise ses trois compagnies : la 6e compagnie (Thouvenin), la compagnie d’accompagnement (Amiel), la 5e compagnie (Clément en remplacement du capitaine Chatillon tué le premier jour des combats). Léoni ne parvient pas à réunir les officiers compte tenu de l’intensité des tirs d’artillerie. Ils seront obligés de se réunir à trente pas des uns des autres et de crier pour s’entendre.

Le 2e bataillon va devoir prendre les pitons successifs 718, 721 et 771 avant de s’atteler à l’ascension du Casale Abate. La progression se fait sous le feu du Cifalco et du Cairo. Les pertes sont énormes.

Léoni demande l’autorisation au colonel Roux de marquer une pause compte tenu de l’épuisement de ses hommes. Vers 21 heures, le colonel Roux donne une réponse négative. Le risque de contre-attaque allemande est trop important et les hommes sont condamnés à poursuivre leur marche malgré la fatigue.

Les hommes de Léoni reprennent donc l’ascension de la cote 915 sous un déluge de mines et de nibelverfer.

Les pertes sont épouvantables. Le capitaine Izaac, commandant de la compagnie d’accompagnement, est tué, atteint par un minen « qui l’a mis en lambeaux ». Le sous-lieutenant Mohammed, chef de section, est tué. L’aspirant Carbonnel, chef de section, grièvement blessé. Le lieutenant Thouvenin est tué. Le caporal Conrad, le sergent Le Guen sont tués. Ils sont environ 150 survivants au sommet du Casale Abate et presque sans munitions. Mais, à deux heures trente du matin, le 27 janvier, le capitaine Léoni et le sous-lieutenant Clément gagnent le sommet du Casale Abate : la cote 915.

Le sergent Klausner envoie une fusée : objectif conquis.

Le terrain est à découvert au sommet : il est impossible pour les hommes de creuser des tranchées ou de lever des murets. Le Casale Abate : ce sont des dalles de pierre, des plaques rocheuses avec très peu de terre arables. Trouver le sommeil est quasiment impossible.

Combats du 1er bataillon

Le 1er bataillon, qui était resté en réserve dans un premier temps, reçoit l’ordre en fin de journée du 25 janvier 1944 de traverser le Rio Secco, de défendre la position de l’Olivella, puis de grimper les pentes du Belvédère afin de renforcer les offensives du 2e et du 3e bataillons.

Le 1er bataillon bénéficiera du soutien d’un escadron de tank-destroyers du 8e Chasseurs d’Afrique et d’une compagnie de chars américains.

Après avoir franchi le Rio Secco, la 1ère compagnie (Lartigau) et la 3e compagnie (Carré) nettoient tout d’abord le secteur de l’Olivella à la tombée de la nuit.

Puis, le commandant Bacqué lance la 1ère compagnie (Lartigau) sur un sentier muletier conduisant à la cote 382 afin de soutenir le 2e bataillon. Les hommes doivent marcher dans la nuit à la file indienne en tenant à bout de bras le blouson du tirailleur qui le précède.

En revanche, Bacqué perd le contact avec la 3e compagnie. Bacqué décide alors d’installer son P.C. dans la vallée dans des maisons de l’Olivella. Cette position va s’avérer particulièrement exposée aux tirs de l’artillerie allemande.

La compagnie Carré va quant à elle marcher sur les traces de la 11e compagnie : mais elle va devoir entreprendre une escalade à la boussole et de nuit. Les hommes traversent le Rio Secco en eau profonde. Ils vont ainsi s’atteler à cette ascension nocturne trempés et frigorifiés. Les hommes voient à deux mètres à peine.

Le lieutenant Carré prend des notes dans un carnet qu’il conserve sur lui (nuit du 25 au 26 janvier) :

Nous gravissons Belvédère entre 382 et 721. 30% de pente. A deux mètres, on ne voit rien. Tous les cinquante mètres : pause. Ascension pénible. Mes muscles et les nerfs sont tendus. Canons et mines ennemis tonnent … éclatements à vingt mètres de nous, plus haut. On glisse, on tombe de deux, trois mètres, on risque de se casser les reins. La colonne Bartoli nous perd. Quelle misère humaine! Paquetage … armes … Je plaisante avec les tirailleurs. Nous piétinons des cadavres des nôtres, l’un sans tête, les entrailles étalées ….

A 23 heures 10, la 3e compagnie parvient à gagner le sommet (il semble que cela soit la cote 382).