La campagne d’Italie et le rôle du C.E.F.

La campagne d'Italie

Les batailles de Monte Cassino et du Belvédère

La campagne d’Italie est inconnue du grand public tout comme les batailles de Monte Cassino et les combats du Belvédère. La campagne d’Italie figure pourtant parmi les combats les plus longs et les plus durs de la seconde guerre mondiale.

Comme l’explique Jean-Christophe Notin dans son ouvrage « La Campagne d’Italie – les victoires oubliées de la France« , la campagne d’Italie a mauvaise réputation. Désirée par Staline, issue du pouvoir de conviction de Churchill auprès de Roosevelt, elle fut souvent considérée par de nombreux historiens (et parfois par les militaires qui participèrent aux combats) comme inutilement violente, couteuse en hommes et discutable sur le plan stratégique.

Un profond désaccord séparait Roosevelt qui s’opposait à la poursuite des opérations en Méditerranée et Churchill qui voulait prendre l’Allemagne en tenaille par le nord-ouest et le sud de l’Europe. Ce n’est qu’en mai 1943, lors de la conférence Trident, que les deux hommes arrivent à s’entendre pour des opérations en Italie. Les détails précis des opérations sont convenus un peu plus tard lors de la conférence de Québec en août 1943.

Le débarquement allié en Italie commence alors le 3 septembre 1943 dans la région de Calabre (opération Baytown), puis une force anglo-américaine commandée par le général Clark débarque à Salerne le 9 septembre 1943 (opération Avalanche). Les Allemands se battent farouchement, lanceront plusieurs contre-attaques puis reculeront lentement vers le nord de l’Italie. Naples ne tombera que le 1er octobre 1943. Les Alliés continueront cette lente progression pour buter en janvier 1944 devant la ligne Gustav et le fameux « verrou » de Cassino. Débuteront alors ce que les historiens retiennent sous le nom des batailles de Monte Cassino, lesquelles ont duré près de cinq mois de janvier à mai 1944.

La bataille du Belvédère s’inscrit, quant à elle, dans le cadre de ces batailles de Monte Cassino. Elle est rattachée à ce qui est parfois appelé la première bataille de Cassino qui correspond approximativement au premier mois de combats des Alliés face à Cassino. On considère généralement que la première bataille de Cassino s’achève par le bombardement du monastère de Monte Cassino (qui eut lieu du 15 au 17 février 1944).

La bataille du Belvédère constitue donc un épisode relativement bref par rapport à la durée de la campagne d’Italie. Il s’agit d’une bataille conduite par l’armée française seule, sur ordre du général Mark W. Clark, qui fut sans doute la plus éclatante mais peut être la plus violente de la campagne d’Italie compte tenu des pertes énormes subies par les troupes françaises, tunisiennes et algériennes.

Le corps expéditionnaire français en Italie (C.E.F.)

Conférence de Casablanca, 1943 - © 2009, Encyclopædia Universalis France S.A.

Conférence de Casablanca, 1943
© 2009, Encyclopædia Universalis France S.A.

La bataille du Belvédère figure parmi les combats livrés par le Corps Expéditionnaire Français en Italie (C.E.F.). Le C.E.F. pris une part très active au sein de l’armée alliée, détachée en Italie qui était alors composée essentiellement des Américains et des Anglais.

Bien que comportant quelques divisions de Français libres, il est important de souligner que le C.E.F. est essentiellement une émanation de l’armée d’Afrique. Cette dernière sera entièrement réorganisée à l’issue de la conférence de Casablanca et de la mise en place du Plan d’Anfa décidé par Roosevelt et le général Giraud (14-24 janvier 1943). Le Plan d’Anfa doit largement être mis au crédit de ce dernier. L’insistance de l’évadé de Koenigstein auprès des Américains fut constante et il n’hésitera pas à être parfois un peu rudimentaire dans le propos pour mieux marquer les esprits « Donnez-nous simplement des armes ! » s’écrira-t-il face à Roosevelt.

Le réarmement de l’armée d’Afrique sera lent, non pas par réticence des Américains, mais il fallait traduire les notices techniques en français, envoyer des instructeurs en Afrique du Nord (A.F.N.), organiser des formations, etc. Tout cela prend du temps. En outre, l’armée américaine couvrait tout juste ses propres besoins. Par conséquent, on peut difficilement lui reprocher de ne pas avoir immédiatement subvenu aux besoins de l’armée d’Afrique…

En ce premier semestre 1943, les Français ne donnent pas toujours la meilleure image aux Alliés. Le conflit Giraud / de Gaulle exaspère Roosevelt et Churchill (leur « problem child« ). Ce conflit ne demeure pas sans répercussions au niveau des soldats et le comportement des Français libres à l’égard de l’armée d’Afrique, soupçonnée de Vichysme, ne facilitera pas les choses (débauchage, intimidations, etc). La 1ère Division Française Libre refusera en particulier de défiler aux côtés de l’armée d’Afrique à la fin de la campagne de Tunisie le 20 mai 1943. Ainsi, la fusion entre l’armée d’Afrique et les Forces Françaises Libres ne sera effective qu’au 1er août 1943 non sans arrières pensées de part et d’autre. Juin est nommé commandant en chef de cette nouvelle armée. Il faut admettre ici le fait historique : la création du C.E.F., la participation de l’armée d’Afrique à la campagne d’Italie puis, plus tard, au débarquement en Provence, doit peu à la France Libre et au général de Gaulle.

Les Américains misent toujours sur Giraud au début de l’année 1943 mais sans grande conviction.

Roosevelt confiera même :

Il est nul comme administrateur. Il sera nul comme leader.

Giraud est en outre capable de tenir des propos déconcertants qui ne mettent pas toujours en confiance les chefs alliés.

Par exemple, il déclare à Casablanca que la prise de la Corse et de la Sicile pourra être réalisée dans les deux mois alors que les Anglo-américains n’envisagent pas de débarquement, avant le mois d’août…

En visite à Clark sur le front d’Italie, il critique la position du P.C. de Clark en lui déclarant :

En 14, quand je commandais un régiment, j’étais à 1 kilomètre et demi, en 40, quand je commandais une armée, j’étais à 2 kilomètres derrière mon armée, je vous trouve trop loin.

Clark répondra, cinglant :

oui, mais mon général, je vous rappelle que vous avez été fait prisonnier deux fois.

Ce n’est qu’au cours de l’été de 1943, que l’état major allié envisage d’engager des troupes françaises dans les combats qui auront lieu en Italie. Le processus qui conduira à impliquer le C.E.F. dans les combats fut long et parsemé d’embûches pour l’état major français en place à Alger. Cette décision doit beaucoup à l’obstination du général Juin. La défaite en 1940 ne plaide pas en faveur des Français et beaucoup d’officiers anglo-américains considèrent l’adjonction de forces françaises à l’armée alliée comme parfaitement inutile. Ainsi, lors de l’opération Avalanche sur Salerne, le 9 septembre 1943, aucun Français n’est à bord des péniches de débarquement.

Les Français ne ménageront pourtant pas leurs efforts : la mobilisation générale de l’Afrique du Nord (A.F.N.) postérieure à Torch fournit un contingent de 176.500 hommes, soit 16,4% de la population totale française d’A.F.N. (soit un effort supérieur à celui de la métropole pendant la première guerre mondiale). La population dite « indigène » fournira quant à elle 233.000 hommes, soit 1,58% de la population.

Compte tenu des effectifs réalisables en Afrique, le C.E.F. aurait pu comprendre jusqu’à treize divisions, mais ce chiffre fut ramené finalement à huit afin de permettre de conserver des troupes en A.F.N. Le C.E.F. comprendra près de 115.000 hommes, 12.000 véhicules et 2.500 chevaux et mulets. Il convient de souligner l’apport féminin auxiliaire du corps des A.F.A.T. incorporé au C.E.F. La France est ainsi le seul pays engagé dans la campagne d’Italie qui incorpore des femmes dans ses rangs.

Dès l’été 1943, le général Juin se concentre sur l’équipement et la formation de la 1ère Division Blindée du général du Vigier, la 9e Division d’infanterie Coloniale (9e D.I.C.) du général Blaizot et la 2e Division d’Infanterie Marocaine (2e D.I.M.) du général Dody rassemblées en Oranie et au Maroc oriental.

La supériorité non contestable des Alliés portait sur la technique des opérations amphibies, domaine où les marines américains, dotés d’un matériel moderne, excellaient. La France réduite à l’inaction par les événements de 1940 avait pris beaucoup de retard. Juin insuffle toutefois un esprit offensif aux hommes. En quelques mois, l’armée misérable qu’était devenue l’armée d’Afrique, sous le joug de la commission d’armistice, fut vite oubliée.

Dans Sienne occupée par les troupes françaises, les généraux Clark, Juin et Alexander

Dans Sienne occupée par les troupes françaises, les généraux Clark, Juin et Alexander

Après le débarquement de Salerne (opération Avalanche), Juin rencontre Clark près de Sorrento en Italie le 29 septembre 1943. A Pompéi, face à l’enlisement du 10e corps britannique et en particulier de la 7e division blindée dans sa progression laborieuse dans le massif montagneux italien, Juin renouvelle auprès de Clark l’expérience des Français dans ce type de relief. Clark en convient, mais la décision d’utiliser les troupes françaises ne sera prise par ce dernier qu’à la fin de novembre 1943, soit après la conférence de Téhéran.

L’embarquement des troupes françaises pour l’Italie s’effectue au départ d’Oran et de Bizerte à partir du 19 novembre 1943. Juin arrive quant à lui le 25 novembre 1943 sous une pluie battante.

(Juin – La Campagne d’Italie) :

sous un ciel de suie déversant des trombes d’eau glacée sur [Naples] et sur un terrain délabré et envahi par l’eau et la boue où personne ne nous attendait

Beaucoup de militaires français s’offenseront de l’accueil ainsi réservé à Juin, bien que Clark n’avait probablement aucune animosité ni mépris pour Juin et que cette absence doit probablement être imputée aux circonstances difficiles de l’époque.

Clark n’a encore pris aucune décision quant au rôle que devront jouer les Français.

Juin rappelle pertinemment que pour Clark :

la France, vaincue et occupée, était out of the map dans le jeu de la reconquête de l’Europe.

Après la prise de Naples (1er octobre 1943), les Alliés remontent vers le nord et vont faire face aux multiples lignes défensives mises en place par les Allemands durant l’été et l’automne 1943. La progression alliée s’effectue lentement. Certes les Allemands battent en retraite mais ils imposent leur rythme aux Alliés, détruisent ponts et routes et provoquent des inondations, aidés en cela par des pluies automnales diluviennes. Selon la propagande allemande, l’armée anglo-américaine se rapproche de la région de Cassino au rythme d’un escargot et une affiche caricaturale sera réalisée montrant la botte italienne affublée de l’apathique gastéropode.

Affiche de propagande allemande caricaturant la lenteur de la progression des alliés

Affiche de propagande allemande caricaturant la lenteur de la progression des alliés

A l’approche de la région de Cassino, le 6e corps américain est lancé par Clark le 1er décembre 1943 afin de faire tomber les sommets occupés par les Allemands entre Cassino et Mignano. Les Américains vont alors faire l’amère expérience du combat en montagne dans le massif des Abruzzes. En particulier, la 34e division d’infanterie américaine se battra jusqu’à l’épuisement dans le massif du Pantano. Clark, qui a toujours en mémoire les demandes itérées de Juin, saisit alors l’opportunité de tester l’armée française.

La 2e D.I.M. du général Dody reçoit ainsi l’ordre, le 13 décembre 1943, de prendre le Monte Pantano et de relever la 34e division d’infanterie américaine qui a perdu mille cinq cent hommes (tués ou blessés) en tentant de s’emparer sans succès de ce piton de 1.100 mètres d’altitude. Juin et Dody sont toutefois convaincus qu’une attaque frontale ne conduira à rien et que seule une stratégie d’enveloppement des Allemands permettra de percer le dispositif ennemi. Juin est donc légitimement inquiet pour la 2e D.I.M.

Les Franco-Marocains de Dody n’obtiendront guère de résultats les deux premiers jours de combats et ne parviendront pas à s’emparer de la cluse San Michele. Le 15 décembre 1943, le général Lucas donne l’ordre au 5e Régiment de Tirailleurs Marocains (colonel Joppé) de se livrer à une attaque frontale et de prendre le Monte Pantano. A l’issue de deux journées de combats acharnés face à la redoutable 305e division d’infanterie allemande, le Monte Pantano sera pris aux Allemands par les tirailleurs marocains. Cette victoire est obtenue au prix de lourdes pertes (8 officiers et 47 soldats tués, 248 blessés dont 12 officiers), mais, il faut le noter, à la stupeur des Américains qui piétinaient depuis deux semaines sur le site de Pantano.

Ce succès conforte Clark dans l’engagement des troupes françaises et il ordonne à la 2e D.I.M. de prendre la crête de la Mainarde (1.478 mètres) et le Monna Casale (cotes jumelles 1220 et 1225), que les Franco-Marocains prendront respectivement aux Allemands le 26 décembre et le 29 décembre 1943. La 2e D.I.M. sera certes contrainte au repli du Monna Casale à cause de la dégradation des conditions climatiques et d’une formidable tempête de neige, mais le succès des offensives conduites par Dody est incontestable. Le général Giraud se déplacera sur le front pour y rencontrer Clark et profitera du succès de la 2e D.I.M. pour défendre la thèse du « créneau » opérationnel conféré au C.E.F. chère à Juin. Clark ordonne alors au C.E.F. de relever le 6e corps américain en entier dans son créneau de montagne, ce dernier devant participer au débarquement d’Anzio (opération Shingle).

La 2e D.I.M. a perdu près d’un millier d’hommes à la fin de l’année 1943, contre trois mille chez les Allemands, et sera contrainte d’attendre l’arrivée de la 3e Division d’Infanterie Algérienne (3e D.I.A.) prévue en janvier 1944. Cette dernière comprend 17.000 hommes, soit le 3e Régiment de Tirailleurs Algériens (3e R.T.A.), le 7e Régiment de Tirailleurs Algériens (7e R.T.A.), le 4e R.T.T., le 3e Régiment de Spahis Algériens et le 67e Régiment d’artillerie.

Juin prendra quant à lui son commandement opérationnel le 3 janvier 1944. Avec l’arrivée de la 3e D.I.A., la présence du C.E.F. devient beaucoup plus significative au début de l’année 1944.

Le C.E.F. entame sa progression dans les montagnes italiennes et remporte tous les objectifs qui lui sont assignés par les Américains. Ainsi, la Costa San Pietro et le Monna Casale seront pris le 12 janvier 1944, le Monna Acquafondata et le Monte Santa Croce le 13 janvier 1944, l’Inferno et le Rapido le 17 janvier 1944.

Ces faits d’armes du C.E.F. de janvier 1944 constituent le préalable de la bataille du Belvédère.